À 48 ans, Mina Fadli publie son premier roman, une ode à l’amour pour sa famille. Pendant 3 ans, elle a enquêté sur les traces du petit frère de son père atteint d’Alzheimer. Rencontre.
Tout commence dans une cuisine à Val-de-Reuil. Un jour, Mina rend visite à ses parents rolivalois. Son père, âgé de 70 ans, commence une histoire qu’il n’a jamais évoquée auparavant : son petit frère de 5 ans aurait disparu lors des grandes famines du Maroc en 1947. Il demande à sa fille de le retrouver. Pendant plusieurs années, Mina a recueilli les morceaux de cette histoire que son père lui racontait à chacune de ses visites. Soucieuse de son état de santé, elle se lance dans une longue enquête pour tenter de répondre à sa question. Le 27 octobre 2022, elle publie “Le goût de la terre” retraçant une partie de son patrimoine familial.
«La médiathèque de Val-de-Reuil m’a donné le goût de la lecture»
Mina est fière de ses origines. Arrivée à Val-de-Reuil en 1983 avec sa famille, elle se souvient très bien de cette jeunesse rolivaloise : «Je suis allée à l’école des Dominos, puis à PMF et j’ai terminé ma dernière année de lycée à Marc Bloch. J’adorais aller à la médiathèque, j’y ai découvert les grands auteurs, la presse… Je crois que j’y passais tous mes samedis et mercredis après-midi. C’est là-bas que j’ai connu le goût pour la lecture.» Licenciée au VRN (Val-de-Reuil natation), habituée du cinéma, du théâtre et de la comédie musicale, elle a également été l’une des premières élues au CMJ (conseil municipal des jeunes) : «C’est à cette époque que nous avions créé le logo de la Ville !»
De belles années passées dans sa ville de cœur qu’elle doit quitter pour ses études de sciences physiques à Rouen. «Je suis ensuite devenue enseignante, j’ai voulu rendre aux autres ce que l’école m’a donné.» Elle passe ensuite le concours d’inspectrice à l’Éducation Nationale et part l’an dernier en Espagne pour travailler dans les établissements français en zone Ibérique.
À la recherche d’une réponse
Il y a 13 ans, Mina rend visite à ses parents ; un café à la cannelle dans une main, un quartier d’orange dans l’autre, elle discute avec son père comme à son habitude. Puis, il se met à parler d’un certain petit frère qu’il aurait perdu dans le Maroc des années 50. Sans plus d’explication, il demande à Mina de l’aider à le retrouver. »Je ne connaissais absolument pas l’existence de son frère, il m’a raconté beaucoup de scènes, cela était resté comme une douleur extrême pour lui», explique-t-elle en confiant qu’il a été diagnostiqué malade d’Alzheimer peu après le début de son enquête. S’ensuivent des recherches profondes, monopolisant tout le temps libre de Mina : «J’ai gardé toutes les informations que mon père me donnait dans un carnet, je suis ensuite partie voir ma grand-mère maternelle au Maroc. Elle m’a raconté tous les détails de l’existence de M’Bark (mon oncle), du retour de leur père de la guerre, de Casablanca à Essaouira, des grandes famines qui ont été la cause de la disparition de son frère, jusqu’à l’indépendance… J’ai beaucoup appris de cette époque que je ne connaissais pas ! » Contrairement à la France, aucun registre, acte de naissance ou documents écrits n’existaient dans les pays Berbères à cette époque. Le seul vestige de l’histoire familiale de Mina réside dans la mémoire de ses ancêtres. Si cette enquête n’avait qu’un but au départ -répondre à la question de son père- Mina a souhaité garder une trace, une mémoire écrite de ce passé douloureux. »Après 3 ans d’enquête, j’ai décidé d’écrire un roman, j’ai mis 2 ans à l’écrire, puis je l’ai autoédité pour montrer une trace finie à mon père, pour qu’il ait sa réponse», explique-t-elle en précisant qu’elle n’a pas pu lui lire l’intégralité du livre, la douleur de son père était trop intense au fil des chapitres.
«Je lance une bouteille à la mer, peut-être qu’il va se reconnaître»
Une réponse qui reste en suspens. Même si Mina n’a pas retrouvé M’Bark, ce livre est un message qu’elle souhaite faire passer. Ne jamais perdre espoir, car il est toujours possible qu’un miracle arrive : «Je lance une bouteille à la mer, peut-être que quelqu’un va se reconnaître. C’est aussi un moyen de montrer qu’ils ont eu une vie riche, ça a dépassé ce que je souhaitais au départ.»
Un livre exquis, où l’on se met à la place de Lila, le personnage principal faisant référence à Mina, à la découverte des villages orientaux, de l’histoire des peuples Berbère, on y fait la rencontre de personnes incroyables, qui sans les connaître, nous plonge dans une autre culture, nous faisant ainsi réfléchir sur la chance que nous avons. Un ouvrage qui met en évidence la force des femmes, des grands-mères, des tantes, des mères. Toutes ont une importance primordiale dans le destin du père de Mina. À découvrir sans attendre !
Mina Fadli, Le goût de la Terre, M+ Éditions (15€80)
Disponible dans toutes les librairies et les sites de vente en ligne.
Pourquoi «Le goût de la terre» ?
Dès 1939, la famine touchait le Maroc. Le régime de ravitaillement, installé par la France au profit de la Métropole, avait aggravé la situation. Sidi Mohammed, le futur Roi, avait appelé les Marocains à soutenir la France lors de la seconde Guerre Mondiale. Abdellah, le père de Mohamed (le père de Mina), était parti au combat, laissant sa femme Zahra et ses deux petits garçons. La vie était de plus en plus rude, la faim de plus en plus insoutenable. Zahra avait plusieurs terrains d’oliviers et d’amandiers, mais ils ne donnaient aucune goutte d’eau, la terre était devenue aride. Un jour, les deux frères ne pouvaient plus tenir. Pour les protéger des animaux sauvages, Zahra les place dans un trou de puits. La faim grandissait et M’Bark, son petit frère, se mit à avaler des morceaux de terre. «Cette scène m’a été confiée par mon père quand je suis venue le voir à Val-de-Reuil, d’où le nom du livre», confie Mina, émue d’en reparler.