Discours de Marc-Antoine Jamet
Maire de Val-de-Reuil et Conseiller départemental de l’Eure
Commémoration du 8 mai 1945
Monument Mémoire et Paix
Val-de-Reuil/Jeudi 8 mai 2025
Chers compatriotes, chers amis, le 8 mai n’est pas un jour comme les autres.
Ce n’est pas uniquement un jeudi férié, l’amorce d’un viaduc de printemps, une pause dans l’agenda de l’année. Ce n’est pas une formalité. Ce n’est pas un rituel.
Comme les 11 novembre, comme les 14 juillet, c’est un rendez-vous que la République nous donne, un rendez-vous avec l’Histoire, un rendez-vous avec notre Histoire. Il est mémoire. Il est promesse. Il est combat. Vous y avez répondu présents et vous avez eu raison.
Ce 8 mai 2025 n’est pas non plus un 8 mai comme les autres.
Il y a quatre-vingts ans, l’Europe sortait de la nuit. Une nuit longue de six années. Une nuit ponctuée de feu, de fer et de sang. Une nuit d’occupation, de déportations, d’humiliations, d’abandons, d’exactions et de trahisons. Une nuit au bout de laquelle l’aube ne se levait pas. Une nuit envahie par le brouillard, la faim, la souffrance et la mort.
Il y a quatre-vingts ans, le 8 mai 1945, à Berlin, la capitulation sans conditions de l’Allemagne nazie était signée. Pas l’armistice comme en 1918. La capitulation, la reddition, la défaite. Les armes se taisaient. La barbarie abdiquait. L’humanité reprenait son souffle. C’était le retour de la vie. Un vrai espoir. Celui de la reconstruction et de la paix.
Car ce que nous célébrons aujourd’hui, ce n’est pas seulement une victoire militaire. C’est une victoire morale. La victoire du bien contre le mal. La victoire des justes contre les tortionnaires. Dans les temps incertains, dans les temps difficiles, dans les temps compliqués, il est une règle absolue. Il ne faut pas se tromper. On n’en a pas le droit. Il faut faire les bons choix. Celui de la dignité contre l’abjection. Celui de la résistance contre la collaboration, du droit contre la barbarie, de la démocratie face au totalitarisme. C’est un enseignement qui vaut aussi pour ici et maintenant.
Cette victoire fut chèrement acquise : 60 millions de morts. Mais les années de guerre ne furent pas seulement des années de batailles et de combats. Il y eut d’autres cadavres que ceux des soldats. Entre 1933 et 1945, ce fût une descente aux enfers où se mélangeaient les hurlements des SS et les aboiements des chiens. Un enfer subi par l’homme qui en était la victime. Un enfer créé par l’homme qui en était le bourreau. Ce 8 mai est un anniversaire : il y a 80 ans russes, américains, britanniques et français libéraient les camps découvrant des fantômes tondus, des rescapés rayés, des survivants de l’horreur.
Six millions de Juifs arrêtés, raflés, déportés, parfois par des fonctionnaires français y compris dans notre canton, y compris dans notre département comme l’ont rappelé une remarquable exposition des archives Seine-Eure et le travail, avec leurs élèves, de nos professeurs de mémoire MM. Bernard Chambré et Pascal Jeanne. Des hommes, des femmes, des enfants ont été entassés dans des trains. Déshumanisés, pourchassés, anéantis. Exécutés et jetés dans les fosses de Babyn Yar, asphyxiés dans des camions ou gazés à Treblinka, massacrés et brûlés à Auschwitz. Avec eux, les Tsiganes, les homosexuels, les handicapés, les résistants, les dissidents. Toute une humanité déclarée « indésirable ».
Et pourtant, au cœur même de la nuit, des visages se sont levés.
Celui de Jean Moulin, préfet républicain devenu chef de la Résistance, torturé par Klaus Barbie… »
Celui de Simone Veil, devenue la conscience d’un pays et revenue des camps, comme Ginette Kolinka que nos lycéens ont découverte voici quelques semaines en duplex depuis les Invalides, en partie grâce au dynamisme de notre proviseur Thi Ho Phong Lefevre qui nous quitte.
Celui de Missak Manouchian, poète, communiste, immigré, résistant, étranger tombé pour la France.
Celui de Marc Bloch, grand historien, grand professeur, grand résistant, grand martyr, dont notre lycée porte le beau nom et qui, après Robert Badinter, entrera bientôt au Panthéon dans une cérémonie à laquelle l’Élysée a proposé de nous associer.
Celui de milliers d’anonymes. Ce « peuple de l’ombre », ce « peuple né de la nuit et disparu avec elle » que nous honorons et qu’il ne faut pas oublier.
Sans la cérémonie d’aujourd’hui, combien d’enfants de France connaîtraient ces noms que je viens de citer ? Combien sauraient que leur liberté d’aujourd’hui est née de la souffrance d’hier ?
Car il ne suffit pas de naître libre pour le rester. La paix n’est jamais acquise. La liberté est un combat quotidien. La démocratie, un choix exigeant.
Aujourd’hui, dans le monde, 183 conflits armés sont recensés. Selon l’Institut d’Oslo pour la paix, 2023 fut l’année la plus meurtrière en matière de conflits depuis 1945. Plus de 122 000 morts. Deux milliards d’êtres humains vivent sous les bombes, dans la peur, dans la faim.
À Gaza, au Pakistan, au Soudan, au Yémen, en Birmanie, au Sahel, en Syrie dont on reçoit l’étrange dirigeant, au Congo, en Afghanistan dont nous avons accueilli des réfugiés, en Iran où deux de nos compatriotes sont retenus par les mollahs… Des hôpitaux sont détruits. Des écoles sont fermées. Des enfants deviennent soldats. Des femmes sont violées.
Partout, les tensions s’aggravent : cette nuit entre Inde et Pakistan, dans le Caucase et en Ukraine envahie par Poutine qui voulait parader à Moscou, en mer de Chine devant Taiwan, au Proche-Orient où le Hamas est une organisation terroriste et criminelle dont Israël doit être protégé. En Palestine où des dizaines de milliers d’innocents sont tués par Israël qui doit arrêter.
Partout des régimes autoritaires se renforcent. Des démocraties se fatiguent. Les dictatures et les populismes fleurissent. Les discours de haine et le racisme se banalisent. Même dans notre pays. L’antisémitisme ressurgit, exploité avec cynisme par des leaders autoproclamés, populistes et dégagistes, qui en attendent un bénéfice électoral. Ce qui était hier impensable devient aujourd’hui acceptable.
Le 1er mai, on peut chasser, insulter, brutaliser, accuser de ne pas avoir sa place dans une manifestation, un député français, Jérôme Guedj, mon ami et un ami de Val-de-Reuil, parce qu’il est juif. Dans une mosquée, on peut tuer avec la plus grande sauvagerie un fidèle, Aboubacar Cissé, uniquement parce qu’il est musulman, sans que certains responsables politiques s’en indignent.
Alors, oui, la paix est fragile. Oui, les valeurs que nous célébrons ce matin peuvent, demain, vaciller. À coup de tweets anonymes, de fake news, de propos ignobles, à la droite de la droite, à la Gauche de la Gauche. Exactions, tragédies, l’extrême violence est partout.
C’est pourquoi ce 8 mai ne doit pas être un simple exercice de mémoire. Il doit être un cri d’alerte.
Il ne suffit pas de commémorer la paix. Il faut la défendre. Il ne suffit pas de condamner la haine. Il faut la combattre. Il ne suffit pas d’évoquer les leçons du passé. Il faut les appliquer.
Le vivre-ensemble, qui nous réunira bientôt pour un repas partage, ne peut pas être qu’une incantation de façade ou le slogan de campagne des démagogues. C’est une exigence dans les écoles, à l’état-civil, pour la police, au conseil municipal, autour de ce monument. C’est un engagement patient, quotidien, sincère dans chaque quartier. C’est le meilleur rempart contre les fanatismes, la bêtise, la peur, l’intolérance, le rejet de l’autre. C’est une conviction forte qui suppose la reconnaissance de l’autre, la protection des plus faibles, le respect des différences, la laïcité comme ciment, l’égalité comme horizon. La démocratie n’est pas un acquis. C’est un effort.
Alors parlons. Agissons. Transmettons. La liberté n’est jamais acquise et gratuite. Elle se mérite. Elle s’enseigne. Elle se défend.
Jean Moulin l’avait compris : l’unité n’est pas une contrainte. Elle est une force. La Résistance ne fut pas l’œuvre d’un seul homme, ni d’un seul parti, ni d’une seule France. Elle fut celle d’un peuple debout dans la nuit qui n’a jamais cessé de croire en la liberté, en l’égalité, en la fraternité. Même dans la nuit. Surtout dans la nuit.
Ce que nous commémorons, ce que nous transmettons, c’est aussi un avertissement. Un devoir. Une promesse.
C’est pour cela que nous nous retrouvons ici, dans cette crypte à ciel ouvert. C’est pour cela que nous déposons ces gerbes. C’est pour cela que, après une minute de silence nous chanterons la Marseillaise.
C’est pour cela que je voudrais, enfin, que résonnent aujourd’hui les noms de cinq personnes, cinq visages familiers de nos rassemblements et de nos cérémonies, cinq personnalités, élus, agents, citoyens connus des Rolivalois, engagés et qui, au-delà de leurs expériences, de leurs parcours ou de leurs convictions personnelles, avaient en commun un même attachement sincère pour Val-de-Reuil, pour l’intérêt général et pour le bien commun.
Je pense, en premier, à Daniel Bellavoine, premier secrétaire général de l’Ensemble Urbain, premier directeur général des services de la commune, premier parmi les pionniers, qui, dans des temps difficiles, dans des temps héroïques, a posé les bases administratives de la collectivité. Sous l’autorité de Bernard Amsalem, il a géré la Ville avec générosité et courage. Il l’aimait et la défendait toujours contre vents et marées. Son action, sa résilience ont permis la belle moisson que nous réalisons. Il s’est éteint le 24 novembre dernier à l’âge de 83 ans. Aujourd’hui, nous pensons à sa fille, Aude, et à Monique, son épouse.
Je pense également à Fabienne Bucard, qui fut notre collègue au conseil municipal, entre 2014 et 2015, élue sur une liste différente de la nôtre et avec laquelle, par-delà les divergences, nous partagions les mêmes rapports à la République, à l’égalité des chances et à la culture, comme vecteur indispensable d’émancipation, d’épanouissement personnel et d’intégration. Son engagement pour Val-de-Reuil s’était manifesté dès le début des années 1980 lorsqu’elle avait rejoint le CCAS avant, en 1991, d’intégrer le centre culturel des Chalands où, auprès d’Albert Amsallem, elle participait à la gestion, à la programmation et au développement culturel de cette scène. Elle fut, au cours de ces dernières années de vie professionnelle et jusqu’à sa retraite, Rachida Dordain s’en souvient, un agent indispensable du service des sports. Aujourd’hui, nous pensons à sa famille et à son mari.
Je veux associer à cette cérémonie le nom de Patrice Davidsen résident apprécié de l’ESPAGES, pendant de nombreuses années, chroniqueur régulier de la vie locale et commentateur parfois acide de son actualité lorsque, avant les réseaux sociaux, la liberté des opinions trouva avec l’apparition des blogs un espace d’expression. Je ne dévoilerai pas un secret en disant que la Petite Souris Normande était sa deuxième identité. Il avait le goût de la controverse. Au fil du temps, sa plume aiguisée s’était arrondie et il ne manquait jamais de se faire le relais de nos rendez-vous, de nos initiatives ou de nos manifestations. Il avait même la gentillesse de donner plus d’écho que ne le fait parfois la presse aux paroles prononcées ici le 14 juillet, le 11 novembre et le 8 mai. Il aimait Val-de-Reuil qu’il avait rejoint au début des années 1990 et il ne s’imaginait pas s’en éloigner.
En me tournant vers le Lieutenant Pruvost et les sapeurs-pompiers du centre d’incendie de Val-de-Reuil/Louviers, je ne peux manquer de faire entendre ce matin le nom de Jacky Bidault qui avait pris le commandement de la caserne de la ville nouvelle un an et demi après que ce Monument a été inauguré. Dans l’exercice de ses fonctions, dans l’art de commander, il avait les qualités d’un professionnel qui n’a pas besoin d’en rajouter pour qu’on l’écoute et qu’on lui obéisse. Pour gérer des hommes, dont il avait partagé la condition dans tous les grades et dans toutes les situations, afin d’en tirer le meilleur parti, comme l’ont rappelé ses frères d’armes, lors de ses obsèques, il savait additionner l’autorité du chef à la compétence de l’expert et à la bienveillance du sage. Notre centre d’incendie et de secours porte désormais son nom. Je n’oublie pas que s’il s’était épris de Louviers, jamais il n’a manqué de correction, d’éthique et de justice à l’égard de Val-de-Reuil. Au courage, au dévouement et à la solidarité, on pouvait ajouter à la liste de ses qualités élégance, honnêteté et bienveillance.
Un dernier mot enfin, une fois encore à la mémoire de notre ami Jean-Claude Bourbault qui nous manque et à la mémoire duquel nous allons avec les Inrockuptibles composer un film hommage que nous pourrons projeter rapidement je l’espère.
Un hommage à nos proches, un salut à l’histoire, à ceux qui sont morts sans avoir parlé, pour ceux qui n’ont laissé que l’ombre de leur nom ou que l’Histoire a célébrés, mais que la République et notre ville n’oublieront pas.
Alors, chers amis, chers compatriotes, chers Rolivalois, vive la mémoire, Vive la République, Vive la France et Vive Val-de-Reuil.
Vos actualités rolivaloises
Mode d’emploi : Utilisez la barre de recherche pour retrouver un article particulier, utilisez les catégories pour une thématique, cliquez sur les numéros de page pour remonter dans le temps.